La Cour d’appel vient de décider dans un arrêt rendu le 23 mars 20141 que le droit de réponse que l’article 36 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias accorde à “toute personne physique ou morale, toute association de fait ou tout corps constitué, cité nominativement ou implicitement désigné dans une publication périodique” ne trouve pas application aux informations publiées sur un site internet.

L’affaire tranchée par la Cour est liée à la fameuse affaire SREL, qui a défrayé la chronique depuis la fin de l’année 2012. Un des épisodes de cette saga était la révélation que Monsieur K. – l’un des protagonistes de l’affaire – avait consigné sa vision des choses dans un rapport intitulé “Die Sache mit der Uhr”. Le périodique PaperJam, qui avait révélé l’existence de ce rapport, en avait aussi proposé une copie au téléchargement. L’information avait ensuite été reprise sur le site RTL.lu avec un lien direct vers le site PaperJam et le document à télécharger. Ceci avait déplu à une personne citée nommément non pas dans les articles parus sur le site PaperJam et sur le site RTL.lu, mais dans le rapport rédigé par Monsieur K. Invoquant le droit de réponse garanti par la loi de 2004, cette personne demanda aux responsables du site RTL.lu de publier une prise dans laquelle elle expliquait, en substance, n’avoir aucun rapport ni avec l’affaire SREL ni avec K., l’auteur du document.

En première instance, le juge des référés fit droit à la demande et ordonna la publication du droit de réponse sur le site RTL.lu, mais cette décision vient d’être réformée par la Cour.

La Cour fonde son arrêt principalement sur la considération qu’un site Internet n’est pas une publication périodique au sens de la loi de 2004:

Est périodique ce qui se produit à des époques déterminées, à des intervalles réguliers, tel un quotidien ou un hebdomadaire ou encore une publication mensuelle ou bi-mensuelle.

Les publications sur un site internet, en revanche se renouvellent continuellement et leur présence sur le site n’est qu’éphémère. Les lecteurs d’une information sur un site internet, ne consulteront pas à nouveau ce même site dans un laps de temps déterminé, pour connaître l’éventuelle suite de cette information, de sorte que la publication d’un éventuel droit de réponse sur le même site n’aura que peu de chances de toucher le même public que l’information litigieuse.

Dès lors, abstraction faite de la question de savoir s’il est possible d’admettre que la publication litigieuse sous le titre « Uhr-Knall » sur le site RTL.lu  comprend virtuellement la publication de Paperjam et le rapport de l’ex-membre du SREL K., dans lequel l’intimée a été nommément désignée, il résulte de ce qui précède que le site internet RTL.lu n’est pas une publication périodique au sens de l’article 36 de la loi du 8 juin 2004, de sorte que la demande en publication d’un droit de réponse telle que formulée par S. sur base des articles 36 et suivants de la loi du 8 juin 2004 est à déclarer irrecevable. Contrairement à la France, le Luxembourg n’a pas adopté de législation spécifique réglant le droit de réponse sur internet en faisant notamment abstraction de l’exigence de périodicité de la publication.

Selon cette jurisprudence, il n’y a donc, dans notre pays, pas de droit de réponse pour les informations publiées sur un site Internet, la législation contenant une définition trop restrictive du champ d’application du droit de réponse.

Il faut signaler que le raisonnement de la Cour n’est pas véritablement nouveau. Dans leur commentaire de la loi de 2004, MM. Mosar et Goergen avaient déjà expliqué qu’ “une publication diffusée moyennant un réseau électronique tombe dans le champ d’application de cette disposition lorsque celle-ci présente un élément de périodicité qui est de l’essence même du droit de réponse puisqu’il obéit à la logique que la réponse doit, en théorie du moins, toucher le même public que l’information litigieuse”. A titre d’exemples de publications non périodiques, les auteurs citèrent “le livre, le tract ou l’affiche” mais aussi “des agences de presse ou des films cinématographiques exploités en salle”.2 C’est l’ubiquité de l’Internet qui rend la décision importante.

La question que la Cour ne fait qu’évoquer dans le troisième paragraphe reproduit ci-dessus avait été au centre des discussions en première instance: RTL faisant que renvoyer les personnes qui consultent son site sur celui du PaperJam peut-elle être responsable du contenu auquel il est renvoyé et se trouver dans l’obligation de publier un droit de réponse. Pour le juge de première instance, tel était bien le cas dans la mesure où RTL avait eu une activité éditoriale. Selon la décision de première instance, réformée en appel, mais pour d’autres motifs :

Dans les conditions données la société RTL a conçu et structuré une publication dans laquelle elle incite non seulement le lecteur à consulter le rapport K. mais le met également en  mesure d’y avoir accès grâce aux moyens techniques propres à l’internet; qu’ainsi ledit rapport et son contenu sont censés virtuellement compris dans la publication de la société RTL et en faire partie intégrante.

La société RTL étant l’éditeur de ladite publication figurant sur son site internet la demande de S. est à déclarer recevable au regard des dispositions de l’article 37 de la loi précitée.3

La décision de la Cour qui vient d’être rendue ne manquera pas de susciter un vif intérêt dans les milieux concernés. Il se pose notamment la question de savoir si la législation sur le droit de réponse ne doit pas être révisée pour inclure également les publications électroniques qui, de plus en plus, éclipsent les publications imprimées classiques. On peut signaler à ce titre que par exemple la loi modifiée du 27 juillet 1991 sur les médias électroniques contient des dispositions expresses pour confirmer que le droit de réponse existe à l’égard des services audiovisuels.

Notes
  1. Cour d’appel, 7e Ch, 26 mars 2014, n° 40.919 []
  2. Laurent Mosar et Patrick Goergen, “Liberté d’expression dans les médias”, éd. St.-Paul, 2004, n° 969 à 971 []
  3. Juge des référés de Luxembourg, Ordonnance du 6 février 2014, n° 77/2014, réformée en appel, mais pour d’autres motifs []

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