Il y a lieu de signaler un jugement intéressant du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 21 mars 20141, rendu en matière de protection des droits d’auteur, qui fait une application extensive de la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne.

« Les droits d’auteur désignent l’ensemble des droits dont jouissent les créateurs sur leurs œuvres littéraires et artistiques »2. La protection des droits d’auteur résulte au Luxembourg de la loi modifiée du 18 avril 2001 sur les droits d’auteurs, les droits voisins et les bases de données.

Le tribunal de Luxembourg était saisi par un photographe professionnel qui avait constaté que des photos qu’il avait lui-même publiées sur son site internet librement accessible au public se trouvaient reproduites sur le site d’un coiffeur. Estimant que cette utilisation de ses œuvres sans son consentement constituait une atteinte à ses droits d’auteur, le photographe assigna le coiffeur. Dans la même procédure, se trouvait également assignée une deuxième défenderesse dont le site internet comportait simplement un lien vers le site du coiffeur. Comme le coiffeur avait fermé son site en réponse à une mise en demeure, le demandeur ne réclamait que des dommages et intérêts, et ce sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil.

Les questions soulevées dans cette affaire ont permis au tribunal rappeler les principes essentiels de la matière.

A. LES CONDITIONS DE LA PROTECTION DES DROITS D’AUTEUR

1.La preuve de la qualité d’auteur

Contrairement aux droits de propriété industrielle (marques, dessins et modèles, brevets), les droits de propriété littéraire et artistique, dont relèvent les droits d’auteur, ne font l’objet d’aucun enregistrement.

La question de la preuve de leur antériorité et celle de leur propriété, sont donc au cœur de la plupart des litiges.

Dans la présente affaire, le tribunal d’arrondissement a rappelé que la preuve de la qualité d’auteur est libre.

Il a ensuite décidé que des impressions sur papier d’un site internet – très probablement le site internet du demandeur – ne permettaient pas de démontrer que le photographe en était l’auteur.

Cette solution peut paraître surprenante alors que mettre son œuvre en ligne peut apparaître comme un moyen de garder une trace de sa création, et de résoudre le problème récurrent de la preuve. Toutefois, il est certain que des impressions, sorties de leur contexte et sans autre indication quant au titulaire du site en question, ont un caractère probant limité.

En revanche, le tribunal a jugé suffisantes les données EXIF3 fournies par le photographe. Le tribunal constate en effet :

Les données EXIF (exchangeable image format) intégrées par les appareils photos numériques regroupent une foule d’informations parmi lesquelles la date et l’heure à laquelle la photo a été prise, les paramètres de prise de vue (vitesse, diaphragme, sensibilité ISO, mémorisation d’exposition), la localisation de l’image (pour les appareils équipés de la fonction GPS) et l’identification du type de boîtier et d’objectif (y compris le numéro de série de l’appareil).

Ces données EXIF ont permis au tribunal de vérifier que le demandeur était bien propriétaire et l’auteur des photos.

Cette information était par ailleurs corroborée par le témoignage d’une personne qui a assisté à la séance de photos de certains des photos en cause.

2.Le caractère original de l’œuvre

Les photographies ne bénéficient pas d’une protection automatique au titre des droits d’auteur. En effet, les photos doivent se distinguer des clichés ordinaires par une volonté d’expression artistique tel que le cadrage, les effets de lumière, ou de perspective.4

En l’occurrence, s’appuyant sur une jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, le tribunal d’arrondissement a rappelé que :

(…) le droit d’auteur n’est susceptible de s’appliquer que par rapport à un objet, telle qu’une photographie, qui est original en ce sens qu’il est une création propre à son auteur. (…) Une création est propre à son auteur lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci. Or, tel est le cas si l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs. S’agissant d’une photographie de portrait, il y a lieu de relever que l’auteur pourra effectuer ses choix libres et créatifs de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation. Au stade de la phase préparatoire, l’auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l’angle de prise de vue ou encore l’atmosphère créée. Enfin lors du tirage cliché, l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent, celle qu’il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciels. A travers ces différents choix, l’auteur d’une photographie de portrait est ainsi en mesure d’imprimer sa touche personnelle à l’œuvre créée (CJUE, 1er décembre 2011, C-145/10).

En l’espèce, les photos ont été jugées non banales, compte tenu de la couverture particulière du visage des personnes par les cheveux et de la captation du mouvement des cheveux :

En l’espèce les photos en cause reflètent un travail de réflexion et de mise en scène. Elles ne sont pas banales. Au contraire, la couverture particulière du visage par les cheveux ou encore la captation du mouvement des cheveux sont des éléments permettant de conclure au caractère original des photos.

B. LES INFRACTIONS CONCERNÉES ET LES RESPONSABLES

Peuvent être tenues responsables d’une atteinte aux droits d’auteur les personnes qui font une « communication au public » d’œuvres protégées par un droit d’auteur.

1. Communication au moyen d’un lien vers un autre site internet

Il était reproché au deuxième défendeur d’avoir créé sur son site internet, un lien vers le site du coiffeur, lequel contenait les photos protégées.

Se posait ainsi la question de savoir si le fait de mettre à disposition un lien vers un autre site internet est à considérer comme une « communication au public » au sens de la législation sur les droits d’auteur.

En la matière, le tribunal a fait application d’une jurisprudence très récente de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 13 février 2014, Swensson, aff. C-466/12). Dans cette affaire, la Cour de justice était saisie d’un litige opposant des journalistes au titulaire d’un site web qui renvoyait, par des liens hypertexte, à leurs articles, et a jugé que l’exploitant d’un site Internet peut, sans l’autorisation des titulaires de droits d’auteur, renvoyer, via des hyperliens à des œuvres protégées lorsque celles-ci disponibles en accès libre sur un autre site. Suivant l’arrêt de la Cour :

 (…) pour relever de la notion de «communication au public», au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, encore faut-il qu’une communication, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, visant les mêmes œuvres que la communication initiale et ayant été effectuée sur Internet à l’instar de la communication initiale, donc selon le même mode technique, soit adressée à un public nouveau, c’est-à-dire à un public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur, lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale au public.5 24)

Dans l’affaire Swensson, le public ciblé par le site web auquel il était renvoyé était l’ensemble des visiteurs potentiels du site concerné, car ce site n’était soumis à aucune mesure restrictive, tous les internautes pouvaient y avoir accès. Dans ces conditions, la Cour de Justice a jugé que :

Lorsque l’ensemble des utilisateurs d’un autre site auxquels les œuvres en cause ont été communiquées au moyen d’un lien cliquable pouvaient directement accéder à ces œuvres sur le site sur lequel celles-ci ont été communiquées initialement, sans intervention du gérant de cet autre site, les utilisateurs du site géré par ce dernier doivent être considérés comme des destinataires potentiels de la communication initiale et donc comme faisant partie du public pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication initiale. Dès lors, faute de public nouveau, l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ne s’impose pas à une communication au public telle que celle au principal. (C-466/12, point 27 et 28).

La tribunal s’aligne sur le raisonnement de cet arrêt de la Cour de l’Union, dont des extraits sont reproduits dans le jugement, pour conclure qu’il n’y avait pas eu, dans l’affaire luxembourgeoise, de (nouvelle) communication au public au sens des dispositions sur la protection du droit d’auteur. L’action dirigée contre le second défendeur est en conséquence rejetée puisqu’il n’y a pas de faute au sens des articles 1382 et 1383 dans le chef du deuxième défendeur.

2. Communication sur un site web: responsabilité de l’éditeur

La mise en ligne d’œuvres protégées sans autorisation du titulaire des droits engage la responsabilité des éditeurs des sites internet, qu’ils soient professionnels ou amateurs et éventuellement intermédiaires techniques.

Dans son jugement, le tribunal définit l’éditeur comme suit :

Un éditeur d’un site internet est une personne physique ou morale qui publie, c’est à dire qui met à disposition du public des pages sur internet (il sélectionne les contenus, les assemble, les hiérarchise et les met e, forme sur un support de communication en ligne).

Il a été jugé que le fait de concevoir l’architecture d’un site en thèmes ou de structurer les fichiers mis à la disposition du public selon un classement choisi par le seul créateur du site ne donne pas à ce dernier la qualité d’éditeur tant qu’il ne détermine pas les contenus des fichiers. Pour être considéré comme éditeur d’un site, il faut opérer une sélection des contenus mis en ligne et jouer un rôle actif de connaissance ou de contrôle des données stockées.

Les éditeurs sont définis comme ceux qui déterminent les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu’ils ont créé ou dont ils ont la charge, il est alors logique de retenir que celui qui n’opère pas le choix des contenus des fichiers mis en ligne n’est pas un éditeur.

La charge de la preuve de la qualité d’éditeur pèse sur le demandeur.

En l’espèce, le site web litigieux ne pouvait plus être consulté par les juges puisque le coiffeur l’avait fermé suite à une mise en demeure du demandeur. Pour démontrer malgré tout qu’un tort lui avait été causé, le demandeur produisait devant les juges des copies d’écran effectuées avant la fermeture du site. Toutefois, les pièces en question montraient essentiellement les photos diffusées sur le site. Le demandeur avait en revanche omis d’imprimer le contenu des rubriques du site, en particulier la rubrique « about us ». Il n’avait pas non plus rapporté la preuve que le coiffeur était bien le titulaire du nom de domaine litigieux.

Le tribunal considère que les documents produits ne permettaient pas d‘établir que le coiffeur était l’éditeur du site, au sens où ce dernier aurait eu un rôle actif et décisionnel dans l’élaboration du site litigieux.

Cette décision peut apparaître sévère, dans la mesure où l’administrateur technique qui avait créé le site, et qui était intervenu volontairement au litige, avait expliqué que le site avait été développé à la demande du coiffeur et c’était également à la demande du coiffeur que le site avait été fermé suite à la mise en demeure. On aurait pu déduire des déclarations de ce prestataire de services que le coiffeur avait un rôle décisionnel sur l’existence du site, de sorte qu’il pouvait être présumé être son titulaire. Le tribunal considère cependant que les éléments de preuve produits devant lui le placent « dans l’impossibilité de déterminer qui était l’éditeur du site et qui a choisi son contenu ».

C. NÉCESSITÉ D’UNE MISE EN DEMEURE

Le jugement commenté est encore intéressant dans la mesure où le demandeur se trouve au final condamné à indemniser l’une des parties qu’il avait assignées, le tribunal lui reprochant d’avoir introduit son action avec légèreté.

C’est le deuxième défendeur, donc celui dont le site ne comportait qu’un lien vers le site du coiffeur, qui avait formulé une demande reconventionnelle pour procédure vexatoire et abusive au motif que le photographe avait lancé son assignation contre lui sans même le mettre d’abord en demeure.

En fait, la lecture du jugement nous apprend qu’une mise en demeure avait été envoyée, mais uniquement par courrier électronique et à une adresse qui n’était « apparemment plus utilisée » par le deuxième défendeur.

Le tribunal considéra ce comportement comme fautif dans le chef du demandeur :

S’il n’est pas forcément nécessaire d’adresser une mise en demeure avant de lancer une assignation judiciaire, toujours est-il que, dans les circonstances particulières de l’espèce, face à une potentielle ignorance par [le deuxième défendeur] de toute violation des droits d’autrui, tout homme normalement prudent et diligent aurait tenté de contacter, si nécessaire par courrier postal, le prétendu contrefacteur. Or, en l’espèce, un seul courriel a été envoyé à une adresse dont on ne connaît pas l’origine.

C’est donc de manière intempestive et avec une légèreté blâmable que [le demandeur] a lancé une assignation à l’encontre [du deuxième demandeur], de sorte que la demande [du deuxième demandeur] en allocation d’une indemnité de procédure pour procédure vexatoire et abusive est à déclarer fondée pour un montant évalué par le tribunal à 1.500 €.

Il y a donc un risque à saisir la justice d’une demande portant sur la violation d’un droit d’auteur sans avoir préalablement mis en demeure le défendeur.

Notes
  1. Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 2e ch., 21 mars 2014, n° 153 803 du rôle. Au moment de la publication du présent billet, ce jugement reste susceptible d’appel. []
  2. http://www.wipo.int []
  3. http://fr.wikipedia.org/wiki/Exchangeable_image_file_format []
  4. TA Lux corr. 10 février 2010, n° 542/2010 []
  5. aff. C-466/12, point []

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