Saisie à titre préjudiciel par la High Court of Justice anglaise, la CJUE a rendu un arrêt le 19 juin 2012 conditionnant l’utilisation des termes généraux de désignation des classes des listes de la classification de Nice dans le cadre d’une demande d’enregistrement d’une marque.

Le litige au principal concerne une demande d’enregistrement adressée au Registrar of Trademarks anglais. La demande porte sur les termes “IP Translator” et se rapporte aux services de la classe 41, lesdits services étant identifiés dans la demande par des termes généraux de la classification de Nice: “éducation ; formation ; divertissement ; activités sportives et culturelles”.

1. La question de la recevabilité de la question préjudicielle

Parmi les observations écrites qui ont été déposées par des États Membres et des institutions, l’Office pour l’Harmonisation dans le Marché Intérieur (OHMI) et la commission européenne avaient conclu à l’irrecevabilité de la question préjudicielle tirée du caractère soi-disant non décisif de la réponse à apporter par la CJUE pour la solution du litige.

La CJUE a rejeté les moyens d’irrecevabilité en rappelant que:

“(…) selon une jurisprudence constante, la procédure instituée par l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêts du 16 juillet 1992, Meilicke, C‑83/91, Rec. p. I‑4871, point 22, et du 24 mars 2009, Danske Slagterier, C‑445/06, Rec. p. I-2119, point 65).

Dans le cadre de cette coopération, les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 16 octobre 2003, Traunfellner, C‑421/01, Rec. p. I‑11941, point 37; du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C‑94/04 et C‑202/04, Rec. p. I‑11421, point 25, ainsi que du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C‑570/07 et C‑571/07, Rec. p. I‑4629, point 36).

Tel n’est cependant pas le cas en l’occurrence. En effet, il est incontesté que la demande d’enregistrement de la marque a été effectivement déposée et que le Registrar l’a refusée, même si celui-ci s’est écarté de sa pratique habituelle. En outre, l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi répond effectivement à un besoin objectif inhérent à la solution d’un contentieux pendant devant elle (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2005, Mangold, C‑144/04, Rec. p. I‑9981, point 38).

2. La question préjudicielle

La CJUE a ensuite statué sur la demande de question préjudicielle libellée comme suit:

“Dans le cadre de la directive 2008/95 [...]:

1)      Est-il nécessaire que les divers produits ou services couverts par une demande de marque soient identifiés avec clarté et précision, et, dans l’affirmative, jusqu’à quel point précisément?

2)      Est-il admissible d’utiliser les termes généraux des intitulés de classes de la classification [de Nice] afin d’identifier les divers produits ou services couverts par une demande de marque?

3)      Est-il nécessaire ou admissible qu’une telle utilisation des termes généraux des intitulés de classes de ladite classification [...] soit interprétée conformément à la communication n° 4/03 [...]?”

3. Les réponses de la CJUE

Quant à l’obligation de clarté et de précision requis par la directive 2008/95/CE, la CJUE a rappelé que

“la directive 2008/95 exige que les produits ou les services pour lesquels la protection par la marque est demandée soient identifiés par le demandeur avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre aux autorités compétentes et aux opérateurs économiques, sur cette seule base, de déterminer l’étendue de la protection demandée.”

Sur l’utilisation des indications générales des intitulés de classes de la classification de Nice, la CJUE a constaté que

la directive 2008/95 ne contient aucune référence à la classification de Nice et, par conséquent, n’impose aucune obligation ni interdiction pour les États membres de l’utiliser aux fins de l’enregistrement des marques nationales. Cependant, l’obligation d’utiliser cet instrument résulte de l’article 2, point 3, de l’arrangement de Nice qui dispose que les administrations compétentes des États de l’Union particulière, qui compte la quasi-totalité des États membres, feront figurer dans les titres et les publications officiels des enregistrements des marques les numéros des classes de la classification de Nice auxquelles appartiennent les produits ou les services pour lesquels la marque est enregistrée.

“(…) certaines des indications générales figurant aux intitulés de classes de la classification de Nice sont, en elles-mêmes, suffisamment claires et précises pour permettre aux autorités compétentes et aux opérateurs économiques de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque, alors que d’autres ne sont pas susceptibles de satisfaire à cette exigence lorsqu’elles sont trop générales et recouvrent des produits ou des services trop variés pour être compatibles avec la fonction d’origine de la marque.

Il appartient, dès lors, aux autorités compétentes d’effectuer une appréciation au cas par cas, en fonction des produits ou des services pour lesquels le demandeur sollicite la protection conférée par la marque, afin de déterminer si ces indications satisfont aux exigences de clarté et de précision requises.

Par conséquent, la directive 2008/95 ne s’oppose pas à l’utilisation des indications générales des intitulés de classes de la classification de Nice afin d’identifier les produits et les services pour lesquels la protection par la marque est demandée, pour autant qu’une telle identification soit suffisamment claire et précise pour permettre aux autorités compétentes et aux opérateurs économiques de déterminer l’étendue de la protection demandée.”

Enfin, en ce qui concerne l’étendue de la protection résultant de l’utilisation de toutes les indications générales de l’intitulé d’une classe particulière, la CJUE a confirmé que

“il est possible de demander l’enregistrement d’une marque soit pour la totalité des produits ou des services que recouvre une classe de la classification de Nice, soit pour certains seulement de ces produits ou services (voir, en ce sens, arrêt Koninklijke KPN Nederland, précité, point 112)”.

“(…) en vue de respecter les exigences de clarté et de précision, précédemment rappelées, le demandeur d’une marque nationale qui utilise toutes les indications générales de l’intitulé d’une classe particulière de la classification de Nice pour identifier les produits ou les services pour lesquels la protection de la marque est demandée doit préciser si sa demande d’enregistrement vise l’ensemble des produits ou des services répertoriés dans la liste alphabétique de la classe particulière concernée ou seulement certains de ces produits ou services. Au cas où la demande porterait uniquement sur certains desdits produits ou services, le demandeur est obligé de préciser quels produits ou services relevant de cette classe sont visés.

Une demande d’enregistrement qui ne permet pas d’établir si, par l’utilisation de l’intitulé d’une classe particulière de la classification de Nice, le demandeur vise l’ensemble ou uniquement une partie des produits de cette classe ne saurait être considérée comme suffisamment claire et précise.

Ainsi, dans l’affaire au principal, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si le CIPA, lorsqu’il a utilisé toutes les indications générales de l’intitulé de la classe 41 de la classification de Nice, a précisé dans sa demande si celle-ci couvrait ou non l’ensemble des services de cette classe et, en particulier, si sa demande visait ou non les services de traduction.”

4. L’autorité de l’arrêt de la CJUE sur les juridictions et institutions nationales

Face aux interprétations divergentes des autorités en charge de l’enregistrement des marques nationales, Benelux, communautaires et internationales, il est important de rappeler l’autorité des arrêts rendus sur question préjudicielle par la CJUE.

Il n’est pas question d’autorité de chose jugée, alors que l’arrêt sur renvoi préjudiciel ne tranche pas un différend. Il est de coutume de qualifier l’autorité de chose décidée dans le cadre d’un recours préjudiciel d’”autorité de chose interprétée”.

Bien qu’aucun texte ne l’impose expressis verbis, l’”autorité de chose interprétée” s’impose tant au juge de renvoi qu’aux autres juridictions nationales des États Membres. Cette autorité ressort notamment du fait que l’obligation de renvoi des juridictions nationales suprêmes disparait si la CJUE a déjà donné une réponse à une question identique. Par ailleurs, l’interprétation donnée par la Cour est déclaratoire et s’impose autant que la disposition qu’elle interprète. Enfin, il est également régulièrement rappelé que pareille “autorité de chose interprétée” est conforme à l’objectif d’harmonisation du droit européen poursuivi par la procédure du renvoi préjudiciel.

Cet arrêt du 19 juin 2012 devra être appliqué par toutes les autorités nationales, multinationales ou communautaire d’enregistrement des marques.

 

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