Dans la suite de l’arrêt Koller, dont nous avions rendu compte dans un précédent article sur ce blog, la Cour de Justice de l’Union européenne vient de rendre un autre arrêt en matière de liberté d’établissement des avocats et de reconnaissance des qualifications: l’arrêt Ebert du 3 février 2011, aff. C-359/09.

M. Ebert, ressortissant allemand, a fait ses études de droit en Allemagne et est habilité à exercer l’activité d’avocat avec le titre de «Rechtsanwalt», en tant que membre du barreau de Düsseldorf, depuis 1997. Depuis la fin des années 1990, il vit cependant en Hongrie, où il a acquis, après des études à l’université de Miskolc, le titre de docteur en droit en 2002. En 2004, M. Ebert a conclu un accord de collaboration avec un cabinet d’avocats en Hongrie et a été admis sur la liste des juristes européens, au sens de l’article 89/A de la loi hongroise relative aux avocats, de sorte qu’il peut exercer l’activité d’avocat dans cet État membre sous son titre professionnel d’origine. M. Ebert a fondé, en 2005, son propre cabinet en Hongrie et par décision du 6 avril 2005, le Budapesti Ügyvédi Kamara a enregistré ce cabinet.

M. Ebert était donc autorisé à exercer la profession en Hongrie, mais uniquement sous son titre d’origine de «Rechtsanwalt».

En 2006, il demanda cependant à la justice hongroise que lui soit reconnu le droit d’utiliser le titre hongrois de «ügyvéd» en Hongrie sans être membre de l’ordre des avocats. C’est dans le contexte de cette procédure que le Fővárosi Ítélőtábla (cour de Budapest). Cette juridiction a décidé de poser à la Cour de Justice de l’Union européenne deux questions préjudicielles:

1) Peut-on interpréter les directives 89/48[…] et 98/5[…] en ce sens que la partie demanderesse, de nationalité allemande, qui a réussi l’examen d’accès à la profession d’avocat en Allemagne, est membre d’un ordre des avocats local et dispose en Hongrie d’un permis de séjour et d’un travail, a le droit, sans avoir la qualité de membre d’un ordre hongrois des avocats, d’utiliser sans autorisation quelconque le titre officiel de «ügyvéd» institué par la Hongrie, État d’accueil, devant les tribunaux et dans les procédures administratives, en plus de ses titres allemand de «Rechtsanwalt» et hongrois de «európai közösségi jogász» [(juriste européen)]?

2) La directive 98/5[…] vient-elle compléter les dispositions de la directive 89/48[…] en ce sens que, concernant l’exercice de l’activité d’avocat, elle constituerait une lex specialis dans ce domaine, tandis que la directive 89/48[…] ne ferait que régir de façon générale la reconnaissance des titres de formation de l’enseignement supérieur?

Les rapports entre les deux directives

Dans son arrêt du 3 février 2011, la Cour traite la deuxième question en premier

Les directives 89/48 et 98/5 se complètent en instaurant pour les avocats des États membres deux voies d’accès à la profession d’avocat dans un État membre d’accueil sous le titre professionnel de ce dernier.

Dès lors, un avocat d’un État membre peut accéder à la profession d’avocat dans un État membre d’accueil où cette profession est réglementée et l’exercer sous le titre professionnel décerné par celui-ci en vertu soit de la directive 89/48, soit de l’article 10, paragraphes 1 et 3, de la directive 98/5.

Sur ce point, on peut rapprocher l’arrêt de la Cour européenne d’une décision du Conseil disciplinaire et administratif des avocats du Grand-Duché de Luxembourg du 11 novembre 2004, qui avait considéré qu’il existe,. pour l’admission au Barreau, «deux procédures distinctes, la première pour les candidats remplissant les conditions d’admission au stage (système ordinaire national) ainsi que pour ceux qui désirent exercer sous leur titre d’origine, ainsi qu’un deuxième système réservé aux candidats admissibles à un barreau étranger et désireux de se soumettre à une épreuve d’aptitude» (C.D.A., 24 novembre 2004).

L’exigence d’une inscription à l’ordre des avocats

Quant à la première questiom

La juridiction de renvoi demande en substance si les directives 89/48 et 98/5 s’opposent à une réglementation nationale instituant, pour exercer l’activité d’avocat sous le titre d’avocat de l’État membre d’accueil, l’obligation d’être membre d’une entité telle qu’un ordre des avocats.

Il ressort de l’article 3 de la directive 89/48 que, dès lors qu’une personne possède un diplôme prescrit par un État membre pour accéder à une profession, elle a le droit d’accéder à cette même profession dans un État membre d’accueil dans les mêmes conditions que les nationaux de celui-ci, hormis celle relative à la possession d’un diplôme de l’État membre d’accueil.

Par ailleurs, il ressort de l’article 6 de la directive 89/48, lu à la lumière du dixième considérant de cette directive, qu’une personne accédant à une profession réglementée dans un État membre d’accueil sur le fondement d’une reconnaissance d’un diplôme au sens de l’article 1er, sous a), de cette directive doit se conformer aux règles professionnelles dudit État membre, visant notamment au respect de la déontologie.

Il ressort également de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 98/5 que même l’avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine dans un État membre d’accueil est soumis aux mêmes règles professionnelles et déontologiques que les avocats exerçant sous le titre professionnel de cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 2010, Jakubowska, C-225/09, non encore publié au Recueil, point 57).

Il convient dès lors de constater que ni la directive 89/48 ni la directive 98/5 ne s’opposent à l’application, à toute personne exerçant la profession d’avocat sur le territoire d’un État membre, notamment en ce qui concerne l’accès à celle-ci, des dispositions nationales, qu’elles soient législatives, réglementaires ou administratives, justifiées par l’intérêt général telles que des règles d’organisation, de déontologie, de contrôle et de responsabilité (voir en ce sens, s’agissant de la directive 89/48, arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55/94, Rec. p. I‑4165, point 35 et jurisprudence citée).

(…)

Il convient dès lors de répondre à la première question posée que ni la directive 89/48 ni la directive 98/5 ne s’opposent à une réglementation nationale instituant, pour exercer l’activité d’avocat sous le titre d’avocat de l’État membre d’accueil, l’obligation d’être membre d’une entité telle qu’un ordre des avocats.

Marc THEWES est l’auteur de l’ouvrage «La profession d’avocat au Grand-Duché de Luxembourg», éd. Larcier, Bruxelles, 2010.

La profession d'avocat

Marc Thewes, La profession d'avocat au Grand-Duché de Luxembourg

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