Le domaine du droit des fusions de sociétés aura connu quelques changements au cours de l’été 2011.

La loi du 3 août 2011 modifiant la loi sur les sociétés commerciales (LSC) a notamment été votée (Mémorial A n° 175 du 12 août 2011). Le Grand-Duché devait en effet transposer diverses directives de l’Union Européenne en ce qui concerne les obligations en matière de rapports et de documentation en cas de fusions ou de scissions. Les instances européennes voulaient alléger la charge administrative et les obligations documentaires pesant sur les sociétés impliquées dans un processus de fusion.

Les changements ont ainsi eu des conséquences sur les conditions de nomination d’un expert indépendant chargé d’examiner le projet de fusion. Il s’agit d’un “commissaire à la fusion” dont le rôle consiste à contrôler les éléments du projet de fusion proposé par les dirigeants des sociétés qui fusionnent.

L’article 266(1) de la LSC  offre plusieurs options.

Art 266(1) Le projet de fusion doit faire l’objet d’un examen et d’un rapport écrit destiné aux associés. Cet examen sera fait et ce rapport sera établi pour chacune des sociétés qui fusionnent par un ou plusieurs experts indépendants à désigner par l’organe de gestion de chacune des sociétés qui fusionnent. Ces experts doivent être choisis parmi les réviseurs d’entreprises agréés. Toutefois il est possible de faire établir le rapport par un ou plusieurs experts indépendants pour toutes les sociétés qui fusionnent. Dans ce cas la désignation est faite, sur requête conjointe des sociétés qui fusionnent par le magistrat présidant la chambre du tribunal d’arrondissement, dans le ressort duquel la société absorbante a son siège social, siégeant en matière commerciale et comme en matière de référé.

Chaque société qui fusionne peut en premier lieu désigner un ou plusieurs experts indépendants pour l’examen du projet de fusion. Les conseils d’administration peuvent toutefois nommer un expert commun. Les sociétés peuvent même se passer d’un tel rapport d’expert si les actionnaires le décident (cinquième paragraphe de l’article 266 LSC).

Il est peut-être ici utile de préciser que le rapport d’un commissaire aux apports demeure obligatoire (art 26-1(2) LSC) pour cette dernière option. En effet, dans le cas de fusion par absorption, cela implique pour la société absorbante une augmentation de capital par des apports nouveaux (art 32-1(1) LSC). La loi n’était pas d’une clarté exemplaire quant à cette obligation.

Le législateur a dès lors pris soin de rédiger l’article 266 de manière plus complète:

„(3) Les règles prévues à l’article 26-1 paragraphes (2) à (4) ne s’appliquent pas lorsqu’un rapport d’expert sur le projet commun de fusion est établi ou lorsque les conditions de l’article 26-1 paragraphes (2) à (4) ne sont pas remplies.“

L’option de la nomination d’un expert indépendant par voie de justice soulevait quant à elle une difficulté.

Sans aucune base légale, le Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg ajoutait une condition à la loi en décidant, par voie de circulaire (21 juillet 2008) que l’expert indépendant à désigner ne devait ni être le commissaire aux comptes ni le réviseur d’entreprises.

Les sociétés participant à la fusion requérant la nomination d’un expert indépendant au vu  de l’article 266(1) de la LSC  ne pouvaient proposer leur(s) réviseur(s) chargé(s) du contrôle légal de leurs comptes.

L’Institut des Réviseurs d’Entreprises avait ouvert un débat en mars 2011.

Dans le contexte des travaux parlementaires à la Chambre des Députés sur le projet de loi n° 6227, devenu la loi du 3 août 2011 concernant les obligations en matière de rapports et de documentation en cas de fusions ou de scissions, l’IRE s’exprimait ainsi:

“L’IRE souhaite attirer votre attention et exprimer son point de vue dans le cadre de l’application des articles 266 (1) [fusion] et 294 (1) [scission] de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales. Lorsque les sociétés participant à la transaction décident de soumettre une requête pour faire établir le rapport par un même expert indépendant pour toutes les sociétés, le choix de cet expert incombe en définitif au Tribunal. Il est par ailleurs de notre compréhension que le Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg (ci-après le „Tribunal“) favorise systématiquement la nomination d’un expert indépendant autre que le ou les réviseurs d’entreprises agréés chargés du contrôle légal des sociétés participant à la fusion ou à la scission.

Mais le débat avait déjà cours en 1987, et l’IRE de rappeler les travaux parlementaires de l’époque:

“Nous notons avec satisfaction, à la lecture du commentaire de l’article 266 du projet de loi 2897 en page 13 (en page 31 concernant l’article 294), que le législateur permet la nomination du réviseur d’entreprises agréé chargé du contrôle légal des sociétés participant à la fusion ou à la scission. Le commentaire de l’article 266 du projet de loi 2897 en page 13 (en page 31 concernant l’article 294) se présente comme suit :

Si l’expert ou les experts sont choisis parmi les réviseurs d’entreprises, le texte n’exclut pas la désignation du réviseur d’entreprises chargé de contrôler les comptes de la société qui fusionne alors que cet expert a l’avantage de connaître la société; par contre il est parfaitement possible que d’autres experts soient chargés d’examiner le projet de fusion.“

L’IRE continue:

“Ce commentaire souligne la reconnaissance, par le législateur, de l’avantage pour les sociétés prenant part à la transaction de nommer le réviseur d’entreprises agréé chargé du contrôle légal des comptes de la(les) société(s) visée(s).

Par ailleurs, la loi permet à chacune des sociétés concernées de nommer le réviseur d’entreprises agréé chargé du contrôle légal de ses comptes. Le législateur n’a donc pas prévu de règle supplémentaire d’indépendance dans un tel cas.

(…)

Il en découle que le réviseur d’entreprises agréé chargé du contrôle légal des comptes d’une ou des sociétés visées par la fusion ou la scission peut constituer un choix judicieux en matière d’efficience et de coût pour ces sociétés.

Compte tenu de ce qui précède, l’IRE est d’avis que lorsque les administrateurs respectivement les actionnaires des sociétés participant à la transaction sont d’avis que la nomination du réviseur d’entreprises chargé du contrôle légal des comptes de ces sociétés est souhaitable en termes de compétences, d’efficience et de coût, le Tribunal, au regard de la législation et des règles d’indépendance de la profession, devrait également envisager l’opportunité de nommer ce dernier et ainsi suivre la volonté des parties.”

Cf. document  parlementaire 6227(1)

Les remarques de l’IRE n’ont pas conduit le législateur à apporter des précisions quant aux conditions de nomination d’un expert. La loi permettait encore aux juges de restreindre le choix d’un expert.

Le récent règlement CSSF n° 11-01 relatif à l’adoption des normes d’audit vient cependant clore le débat et décide:

“2.2. Règles d’éthique

Le réviseur d’entreprises agréé doit respecter les dispositions du code de déontologie de la profession de l’audit à Luxembourg.

La législation actuelle n’interdit pas au réviseur d’entreprises agréé effectuant le contrôle légal des comptes d’une société ou des sociétés impliquées dans la transaction d’intervenir en qualité d’expert indépendant du projet de fusion/scission.

Ce type de mission est assimilé à une mission dite « d’assurance », puisqu’elle comprend un examen et un rapport sur les termes du (des) projet(s) de fusion/scission qui a (ont) été préparé(s) sous la responsabilité du (des) organe(s) de direction ou d’administration.

Il en découle que la nomination du réviseur d’entreprises agréé effectuant le contrôle légal des comptes d’une ou des sociétés en qualité d’expert indépendant ne constitue pas une menace à son indépendance, ni dans les faits, ni en apparence.”

Voir: http://www.cssf.lu/fileadmin/files/Lois_reglements/Legislation/Reglements/RCSSF_No11-01.pdf

Le règlement de la CSSF (organe chargé de la supervision de la profession de l’audit) ayant valeur normative, devrait conduire le tribunal d’arrondissement de Luxembourg à assouplir sa position.

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