Tout un chacun se souvient des abondantes chutes de neige de l’hiver dernier et certains lecteurs de ce blog ont sans doute un souvenir douloureux des chutes dont ils ont été victimes à l’époque, ou des courbatures consécutives à l’effort de déneigement.
Même s’il n’a pas encore neigé cet hiver, un jugement récent du tribunal d’arrondissement de Luxembourg permet de rappeler quelques principes régissant la matière.
Il s’agissait, pour les juges, de se prononcer sur la responsabilité pour une chute due à une plaque de verglas cachée sous la neige1. En tombant, la victime s’était cassé le poignet.
Il n’était pas contesté que la victime avait glissé sur une plaque de verglas située sur le chemin d’accès à une propriété privée. L’accident s’était donc produit sur un terrain privé. S’il s’était agi du trottoir, la responsabilité de la commune aurait été en cause2 .
Il y avait clairement eu contact entre la victime et la plaque de verglas, ce qui est une condition d’application de la responsabilité du fait des choses inanimées prévue par l’article 1384, al. 1er du Code civil, mais le rôle causal du sol, c’est-à-dire son comportement anormal, soit par son état, soit par sa position, soit par son caractère dangereux, étaient contestés.
Et c’est sur ce fondement que les juges rejettent la demande, considérant que les circonstances font que la victime aurait du s’attendre à la présence de plaques de verglas et faire preuve d’une prudence toute particulière:
L’état peu praticable d’une chaussée n’est cependant pas toujours considéré comme exceptionnel ou inhabituel. Ainsi, en hiver la présence de verglas sur les routes ou trottoirs peut ne pas être exceptionnelle et donc être considérée comme état normal avec lequel tout piéton doit compter (G. Ravarani, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, n° 486).
Il est constant en cause, et non autrement contesté, que l’accident s’est produit le 3 février 2010 vers 8.10 heures du matin. Le certificat d’intempérie délivré par le service météorologique de Luxembourg renseigne que pendant la nuit du 2 au 3 février 2010, les températures variaient entre 0,1 (à 18.00 h le 2 février) et 2,9° C (à 8.00 le 3 février), tandis que le sol était, depuis plusieurs jours, recouvert d’une couche de neige d’environ 16 cm laquelle a atteint, suite à des chutes de neige abondantes, 21 cm vers 01 heure du matin. Il indique également que la neige a ensuite commencé à fondre et que son épaisseur atteignait 12 cm vers 07 heures du matin, les chutes de neige s’alternant avec la pluie dès le milieu de la nuit et la pluie reprenant le dessus à partir de 6.00 heures du matin.
Il est dès lors constant que l’accident s’est produit pendant une période hivernale exceptionnelle, lors de laquelle les températures ne dépassaient guère 0° Celsius et la neige était tombée en abondance. La demanderesse devait donc s’attendre à ce qu’une plaque de verglas se soit formée sous la neige fondante, et elle aurait dû redoubler de prudence, ce d’autant plus que l’entrée est en pente légère, qu’il avait neigé pendant une bonne partie de la nuit, que la température extérieure était inférieure à 3° Celsius et qu’il était tôt le matin, la salle d’attente et le cabinet médical n’étant même pas ouverts.
Pour prospérer dans son action, elle doit dès lors prouver qu’au moment de l’accident, les conditions étaient telles que la formation d’une plaque de verglas sous la fonte de neige présentait néanmoins un caractère exceptionnel. Aucune telle preuve n’étant cependant alléguée ou rapportée en l’espèce, l’état anormal du sol au moment de l’accident reste à être établi. Il en suit que les conditions d’application de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil ne sont pas remplies et que la demande est à déclarer irrecevable sur cette base.
(Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 6e Chambre, 27.10.2011, n° 1174/2011)
La victime reprochait encore au propriétaire d’être en faute, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil cette fois, pour n’avoir pas dégagé l’accès de son immeuble. Là encore, cependant, le tribunal absout celui dont la responsabilité était recherchée.
Aucune faute ou négligence en relation causale avec la chute n’est cependant établie à charge [du propriétaire], dès lors qu’au vu des conditions météorologiques qui ont régné le jour de l’accident, aucun défaut d’entretien du sol ne saurait être retenu à sa charge.
(Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 6e Chambre, 27.10.2011, n° 1174/2011)
La position retenue par les juges dans cette affaire est conforme avec la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a décidé en 2002 que
Un trottoir couvert d’une couche de neige sur lequel glisse un piéton n’est pas dans un état anormal lorsque au moment de l’accident la neige n’a pas encore cessé de tomber.
(Cass., 6 juin 2002, Pas. lux., t. 32, p. 171)
L’arrêt visé au pourvoi avait décidé que
(La présence de neige sur un trottoir) au début du mois de février constitue un phénomène normal avec lequel les usagers doivent compter en hiver. Comme la neige n’avait pas encore cessé de tomber au moment de l’accident, il y avait de fortes chances que les routes et les trottoirs étaient glissants. Toute personne moyennement prudente et vigilante devait donc s’attendre dans cdes conditions météorologiques pareilles à des trottoirs enneigés et verglacés. Ainsi chaque piéton avait l’obligation de redoubler de prudence en y marchant. Il en découle que le trottoir où la partie appelante a fait une chute n’était pas dans les circonstances de temps et de lieu prédécrites dans un état anormal au moment de l’accident.
(Cour d’appel, 7e Ch., 19.6.2011, n° 24750 du rôle)
Les décisions citées ne signifient évidemment pas que le propriétaire peut impunément négliger de déblayer la neige. La présence de neige ou de verglas devient en effet anormale lorsque, au regard des circonstances, on peut considérer que le propriétaire avait eu le temps de les enlever.
NotesSi présence de verglas sur un trottoir en hiver est considéré comme une situation normale avec laquelle les usagers doivent compter, la présence de neige ou de verglas est à considérer comme anormale si le trottoir n’est pas déblayé durant plusieurs jours précédant l’accident, surtout s’il a cessé de neiger les jours précédant la chute.
(Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 14.1.1998, n° 41/98, rôle 55889)
- Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 6e Chambre, 27.10.2011, n° 1174/2011. L’affaire était jugée par une section commerciale car, par le mécanisme de l’action directe, seul l’assureur en responsabilité civile du propriétaire se trouvait attrait en justice [↩]
- Jean-Claude Wiwinius, “Les accidents dus aux intempéries d’hiver”, Feuille de liaison de la Conférence St.-Yves n° 69; Georges Ravarani, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, éd. Pasicrisie luxembourgeoise [↩]
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