Le 6 octobre 2011 la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu un arrêt qui retient, à charge du Luxembourg, une violation de l’article 6, §1er de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui garantit le droit au procès équitable. L’affaire concernait la législation sur le permis à points.
Le requérant est un chef d’entreprise. En 2004, une camionnette de son entreprise fut arrêtée lors d’un contrôle opéré par l’Administration des douanes et accises, qui constata une surcharge de plus de 10% de la masse maximale autorisée. Le conducteur, salarié de l’entreprise, et le requérant furent entendus et à l’issue de la procédure le requérant se vit notifier une ordonnance pénale le condamnant à une amende de 750 €.
La procédure de l’ordonnance pénale, prévue actuellement par les articles 394 à 403 du Code d’instruction criminelle, est une procédure qui peut être suivie lorsque le Procureur estime ne devoir requérir qu’une peine d’amende, comme c’était le cas ici. Pour autant que la juridiction saisie soit d’accord avec la réquisition du Procureur, la procédure aboutit à la délivrance d’une ordonnance assimilée, quant à ses effets, à un jugement par défaut. S’il n’accepte pas la condamnation, c’est au requérant de faire opposition, ou éventuellement appel et il y aura alors un débat contradictoire en audience public.
Dans l’affaire qui nous intéresse, le requérant décida cependant de ne pas s’opposer à la condamnation et il s’acquitta de l’amende prononcée.
Quelques semaines plus tard, un courrier du ministère des Transports l’informa du retrait de quatre points de son permis de conduire. Après avoir infructueusement introduit un recours gracieux auprès du ministre, puis mené une procédure devant les juridictions administratives, le requérant finit par s’adresser à la Cour européenne des droits de l’Homme.
Devant cette juridiction, il argumenta en substance que «le retrait de points d’un permis de conduire est une sanction de nature pénale au sens de l’article 6 de la Convention» et qu’ «à ce titre, le requérant aurait dû être informé qu’il encourait cette sanction à un niveau de la procédure où il avait encore les moyens de contester sa culpabilité».
La Cour a accueilli cette argumentation:
30. La Cour constate qu’en droit luxembourgeois, la sanction du retrait de points intervient automatiquement, dès lors qu’est établie la réalité d’une des infractions énumérées à l’article 2, §2 de la loi de 1955, telle la surcharge d’un véhicule, par le biais d’une condamnation devenue définitive.
31. En l’espèce (….), le requérant n’a pas été informé du retrait de points dans le cadre de la procédure pénale. En effet, le simple fait que la législation prévoit le retrait de points, ne saurait, en l’absence d’un renvoi à cette législation au moment où le requérant disposait encore de la faculté de contester les faits qui lui étaient reprochés, être considéré comme portant suffisamment à sa connaissance l’étendue des sanctions qu’il encourait. Dès lors, la Cour retient que le requérant n’a été informé du retrait de points qu’à l’issue de la procédure pénale, c’est-à-dire au moment où l’ordonnance pénale était devenue irrévocable. Or, à ce stade, il ne pouvait plus, au regard de l’automaticité du retrait de points, utilement contester les faits qui lui étaient reprochés. Partant, cette information tardive n’a pas mis le requérant dans une situation lui permettant de préparer utilement et en connaissance de tous les éléments, et plus particulièrement de l’intégralité de la sanction encourue, sa défense contre l’infraction qui lui était reprochée.
32. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
(Cour européenne des droits de l’Homme, 5e Section, 6 octobre 2011, aff. Wagner c. Luxembourg, requête n° 43490/08)
Tout en ne contestant pas que le retrait de points constitue une peine au sens de l’article 6, §1er de la Convention, le gouvernement luxembourgeois avançait le caractère administratif du retrait de points pour expliquer que l’information y relative ne devait pas être fournie au cours de la procédure pénale: «Le Gouvernement estime que cette qualification interne de sanction administrative, justifie l’absence de toute référence au retrait de points durant la procédure pénale suivie à l’encontre du requérant, et partant toute information préalable à sa condamnation.»
Au demeurant, la Cour européenne des droits de l’Homme avait pourtant déjà retenu que le retrait de points constitue une sanction pénale dans l’affaire Malige c. France, jugée en 1998:
38. En ce qui concerne la nature de la sanction, la Cour note que le retrait de points intervient dans le cadre et à l’issue d’une accusation en matière pénale. En effet, dans un premier temps, le juge pénal apprécie les faits constitutifs de l’infraction pouvant donner lieu à un retrait de points, les qualifie et prononce la sanction pénale principale ou complémentaire qu’il juge adaptée. Puis, sur la base de la condamnation prononcée par le juge pénal, le ministre de l’Intérieur retire le nombre de points correspondant au type d’infraction en fonction du barème fixé par le législateur, en l’espèce l’article R. 256 du code de la route (paragraphe 21 ci-dessus).
La sanction de retrait de points résulte donc de plein droit de la condamnation prononcée par le juge pénal.
39. Quant au degré de gravité, la Cour relève que le retrait de points peut entraîner à terme la perte de la validité du permis de conduire. Or il est incontestable que le droit de conduire un véhicule à moteur se révèle de grande utilité pour la vie courante et l’exercice d’une activité professionnelle. La Cour, avec la Commission, en déduit que si la mesure de retrait présente un caractère préventif, elle revêt également un caractère punitif et dissuasif et s’apparente donc à une peine accessoire. La volonté du législateur de dissocier la sanction de retrait de points des autres peines prononcées par le juge pénal ne saurait en changer la nature.
(Cour européenne des droits de l’Homme, 23 septembre 1998, Aff. Malige c. France, 68/1997/852/1059)
Quelle est la portée de l’arrêt du 6 octobre 2011?
La Cour sanctionne ici le fait que l’intégralité des peines qu’il risquait d’encourir n’a pas été communiquée au requérant de sorte que celui-ci ne disposait pas de toutes les informations utiles pour apprécier l’opportunité d’un recours à un moment où il pouvait encore le faire.
L’arrêt n’intéressera donc pas les conducteurs qui subissent un retrait de points à la suite d’une condamnation prononcée à l’issue d’un procès contradictoire. Mais le cas de figure de ce chef d’entreprise n’est peut-être pas si isolé et pour tous ceux qui se trouveraient dans une situation similaire, la décision présente un intérêt incontestable.
Par ailleurs, les autorités luxembourgeoises devront sans doute à l’avenir informer explicitement ceux qui sont poursuivis pour une infraction au Code de la route qu’une condamnation au pénal entraînera ensuite la perte de points.
Lien vers le texte complet de l’arrêt: Texte de l’arrêt
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