Dans un arrêt sur question préjudicielle rendu ce mardi 15 mars 2011 (lien), la C.J.U.E. a précisé l’interprétation à donner à l’article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles qui concerne les contrats individuels de travail.

La clause de droit applicable dans un contrat de travail individuel ne peut pas exclure l’application des dispositions impératives du droit qui régirait le contrat en l’absence d’un tel choix des parties.

Résumé:

L’article 6 paragraphe 2, sous a) de la convention de Rome, en ce qu’il se réfère au critère du pays où le travailleur «accomplit habituellement son travail», doit être interprété de façon large, alors que le critère du siège de «l’établissement qui a embauché le travailleur», prévu à l’article 6 paragraphe 2, sous b) devrait s’appliquer lorsque le juge saisi n’est pas en mesure de déterminer le pays d’accomplissement habituel du travail.

Le critère contenu à l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention de Rome a vocation à s’appliquer également dans une hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d’un État contractant, lorsqu’il est possible, pour la juridiction saisie, de déterminer l’État avec lequel le travail présente un rattachement significatif.

L’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention de Rome doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d’un État contractant, le pays dans lequel le travailleur, dans l’exécution du contrat, accomplit habituellement son travail au sens de cette disposition est celui où ou à partir duquel, compte tenu de l’ensemble des éléments qui caractérisent ladite activité, le travailleur s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur.

Rétroactes:

Un ressortissant allemand a été engagé comme chauffeur international par une société luxembourgeoise. Cette société a pour activité principale la livraison de fleurs et d’autres plantes à partir du Danemark vers diverses destinations européennes, majoritairement allemandes.

Ce travailleur avait été élu comme membre suppléant de la délégation du personnel de la société le 5 mars 2001. Il a été licencié par courrier du 13 mars 2001.

Le travailleur a d’abord agi contre ce licenciement en Allemagne. Les juridictions allemandes se sont déclarées incompétentes, tant en première instance qu’en appel.

Il a ensuite engagé une procédure au Luxembourg. En première instance, le tribunal du travail a jugé que la loi luxembourgeoise était applicable et a débouté le travailleur de ses demandes indemnitaires. La cour d’appel a confirmé ce jugement. Le pourvoi en cassation formé par le travailleur a également été rejeté.

Enjeu du litige au principal:

La loi allemande relative à la protection des membres des délégations du personnel est bien plus favorable que la loi luxembourgeoise. Le travailleur ayant effectué ses prestations de travail quasi-exclusivement entre le Danemark et l’Allemagne, il invoquait la protection de la loi allemande.

Le contrat de travail signé contenait une clause d’attribution de juridiction et de loi applicable en faveur des juridictions et de la loi luxembourgeoises.

La loi luxembourgeoise du 18 mai 1979 portant réforme des délégations du personnel (Mémorial A 1979, n° 45, p. 948) prévoit à son article 34 (1) que :

«Pendant la durée de leur mandat, les membres titulaires et suppléants des différentes délégations du personnel ne peuvent être licenciés; le licenciement notifié par l’employeur à un délégué du personnel doit être considéré comme nul et non avenu.»

De son côté, la loi allemande sur la protection contre le licenciement (Kündigungsschutzgesetz) énonce à son article 15, paragraphe 1:

«Le licenciement d’un membre d’un comité d’entreprise [...] est illégal, à moins que certains faits n’autorisent l’employeur à procéder au licenciement pour un motif sérieux sans observer le délai de préavis, et que l’autorisation requise en vertu de l’article 103 de la loi sur l’organisation des entreprises [Betriebsverfassungsgesetz] a été donnée ou remplacée par une décision judiciaire. Après l’expiration de la durée du mandat, est illégal le licenciement d’un membre d’un comité d’entreprise, d’un délégué [...], à moins que certains faits n’autorisent l’employeur à procéder au licenciement pour un motif sérieux sans observer de délai de préavis; ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la cessation de la qualité de membre repose sur une décision judiciaire.

Après la fin du mandat, le licenciement est interdit pour une durée d’un an.»

La procédure en responsabilité contre l’Etat pour fonctionnement défectueux de l’un de ses services

La procédure étant close, le travailleur a décidé d’introduire une action en responsabilité de l’Etat, reprochant aux juridictions luxembourgeoises d’avoir violé les dispositions de la Convention de Rome et d’avoir ainsi déclaré la loi allemande non applicable à sa situation.

En première instance, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a déclaré la demande recevable mais non fondée.

En instance d’appel, la cour d’appel a estimé que la critique formulée par le travailleur quant à l’interprétation à donner à l’article 6, paragraphe 1 de la Convention de Rome n’est pas dénuée de fondement et a posé la question suivante à la C.J.U.E.:

«Est-ce que la règle de conflit définie à [...] l’article 6, paragraphe 2, sous a), [de la convention de Rome] énonçant que le contrat de travail est régi par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, doit être interprétée en ce sens que, dans l’hypothèse où le travailleur exécuterait la prestation de travail dans plusieurs pays, mais reviendrait systématiquement dans l’un d’entre eux, ce pays doit être considéré comme étant celui où le travailleur accomplit habituellement son travail?»

La CJUE y a répondu en précisant que le critère du pays où “le travailleur accomplit habituellement son travail” doit être entendu eu égard aux éléments suivants:

- il doit être interprété de manière autonome: le contenu et la portée de cette règle de renvoi ne peuvent pas être déterminés sur la base du droit du juge saisi, mais doivent être établis selon des critères uniformes et autonomes pour assurer à la convention de Rome sa pleine efficacité dans la perspective des objectifs qu’elle poursuit;

- l’article 6 de la convention de Rome constitue une règle de conflit spéciale relative aux contrats individuels de travail qui dérogent aux règles générales des articles 3 et 4 de la même convention;

- l’article 6 limite la liberté de choix des parties relative à la loi applicable, ces dernières ne pouvant pas, par leur accord, exclure l’application des dispositions impératives du droit qui régirait le contrat en l’absence d’un tel choix;

- l’objectif de l’article 6 de la convention de Rome est d’assurer une protection adéquate au travailleur, cette disposition doit être lue comme garantissant l’applicabilité de la loi de l’État dans lequel il exerce ses activités professionnelles plutôt que celle de l’État du siège de l’employeur. En effet, c’est dans le premier État que le travailleur exerce sa fonction économique et sociale et que l’environnement professionnel et politique influence l’activité de travail;

- compte tenu de l’objectif poursuivi par l’article 6 de la convention de Rome, il y a lieu de constater que le critère du pays où le travailleur «accomplit habituellement son travail», édicté au paragraphe 2, sous a), de celui-ci, doit être interprété de façon large, alors que le critère du siège de «l’établissement qui a embauché le travailleur», prévu au paragraphe 2, sous b), du même article, devrait s’appliquer lorsque le juge saisi n’est pas en mesure de déterminer le pays d’accomplissement habituel du travail. Il découle de ce qui précède que le critère contenu à l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention de Rome a vocation à s’appliquer également dans une hypothèse, telle que celle en cause dans le litige au principal, où le travailleur exerce ses activités dans plus d’un État contractant, lorsqu’il est possible, pour la juridiction saisie, de déterminer l’État avec lequel le travail présente un rattachement significatif.

En conclusion, l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention de Rome doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d’un État contractant, le pays dans lequel le travailleur, dans l’exécution du contrat, accomplit habituellement son travail au sens de cette disposition est celui où ou à partir duquel, compte tenu de l’ensemble des éléments qui caractérisent ladite activité, le travailleur s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur.

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