Dans un arrêt sur question préjudicielle de ce jeudi 17 mars 2011 (lien), la C.J.U.E. a interprété la directive 2004/18 en précisant qu’elle ne crée pas l’obligation, pour les États membres, d’appliquer l’article 47, paragraphe 2, de cette directive également aux marchés ayant pour objet des services figurant à l’annexe II B de cette dernière.

Toutefois, cette directive n’empêche pas les États membres et, éventuellement, les pouvoirs adjudicateurs de prévoir, respectivement, dans leurs législations et dans les documents relatifs au marché, une telle application.

Se fondant sur ses jurisprudences antérieures (relatives à l’application de la directive 92/50), la Cour a rappelé que le législateur de l’Union est parti de la présomption selon laquelle les marchés relatifs aux services relevant de l’annexe I B de la directive 92/50 (et a fortiori l’annexe IIB de la directive 2004/18) ne présentent pas, a priori, eu égard à leur nature spécifique, un intérêt transfrontalier suffisant susceptible de justifier que leur attribution se fasse au terme d’une procédure d’appel d’offres censée permettre à des entreprises d’autres États membres de prendre connaissance de l’avis de marché et de soumissionner (voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande, précité, point 25).

Cependant, la Cour a considéré que même de tels marchés, lorsqu’ils présentent un intérêt transfrontalier certain, sont soumis aux principes généraux de transparence et d’égalité de traitement découlant des articles 49 TFUE et 56 TFUE (voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande, précité, points 26 et 29 à 31).

A. Les faits

Un appel d’offres ouvert international, portant sur l’acquisition de services de surveillance et de sécurité des installations municipales pour les années 2009 et 2010 a été lancé par une municipalité portugaise. Cet marché devait être attribué selon le critère de l’offre globale économiquement la plus avantageuse.

Une société portugaise s’est portée candidate à ce marché et a présenté à cet effet les documents nécessaires. En outre, elle a joint à son offre une lettre de confort de sa société-mère, dans laquelle cette dernière avait fait la déclaration suivante:

En ce sens, nous déclarons que nous nous engageons à:

–        garantir que Strong Segurança […] dispose des moyens techniques et financiers indispensables à la bonne exécution des obligations découlant des marchés;

–        indemniser le Município de Sintra de tous préjudices subis du fait d’un défaut de bonne exécution contractuelle qui, en cas d’attribution, pourrait se présenter”

“Eu égard au lien de contrôle total direct (100 %) existant entre Trivalor et Strong Segurança […], Trivalor est responsable des obligations de cette dernière, conformément au code des sociétés commerciales (Código das Sociedades Comerciais)”.

La commission d’appel d’offres s’était initialement prononcée en faveur de l’attribution du marché à Strong Segurança, du fait que son offre avait obtenu la pondération la plus élevée. Toutefois, à la suite de la réclamation introduite par une société concurrente, la commission d’appel d’offres, faisant valoir que Strong Segurança n’était pas autorisée à faire état de la capacité économique et financière d’une société tierce telle que Trivalor, est revenue sur son appréciation et a proposé l’attribution du marché à la société concurrente ayant déposé la réclamation.

Un recours a ensuite été introduit par la société finalement écartée.

B. La question préjudicielle

La juridiction de renvoi a posé deux questions préjudicielles:

1)      L’article 47 de la directive 2004/18 […] est‑il, depuis le 31 janvier 2006, directement applicable dans l’ordre juridique interne en ce sens qu’il confère aux particuliers un droit qu’ils peuvent faire valoir contre les organes de l’administration portugaise?

2)      Dans l’affirmative, cette disposition, en dépit de l’article 21 de ladite directive, est-elle applicable aux marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe II B [de la directive 2004/18]?

L’article 4 de la directive 2004/18/CE, intitulé “Opérateurs économiques”, prévoit à son paragraphe 2 que

Les groupements d’opérateurs économiques sont autorisés à soumissionner ou à se porter candidats. Pour la présentation d’une offre ou d’une demande de participation, les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent exiger que les groupements d’opérateurs économiques aient une forme juridique déterminée, mais le groupement retenu peut être contraint de revêtir une forme juridique déterminée lorsque le marché lui a été attribué, dans la mesure où cette transformation est nécessaire pour la bonne exécution du marché

L’article 21 de la Directive, intitulé “Marchés de services figurant à l’annexe II B”:

La passation des marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe II B est soumise seulement à l’article 23 et à l’article 35, paragraphe 4

L’article 47, intitulé “Capacité économique et financière”, prévoit à son paragraphe 2 que:

Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités. Il doit, dans ce cas, prouver au pouvoir adjudicateur qu’il disposera des moyens nécessaires, par exemple, par la production de l’engagement de ces entités à cet effet“.

C. Réponse de la Cour

• La classification dialectique des annexes IIA et IIB

Conformément à la jurisprudence de la Cour, les marchés relatifs aux services figurant à l’annexe II B de la directive 2004/18 ont une nature spécifique (arrêt Commission/Irlande, précité, point 25).

Ainsi, certains au moins de ces services présentent des caractéristiques particulières qui justifieraient que le pouvoir adjudicateur tienne compte, de manière personnalisée et spécifique, de l’offre présentée par les candidats à titre individuel. C’est le cas, par exemple, des «services juridiques», des «services de placement et de fourniture de personnel», des «services d’éducation et de formation professionnelle», ou encore des «services d’enquête et de sécurité».

• Quant à l’applicabilité de l’article 47 de la directive aux marchés de services relevant de l’annexe IIB

La classification des services dans les annexes I A et I B de la directive 92/50 (qui correspondent, respectivement, aux annexes II A et II B de la directive 2004/18) est conforme au système établi par cette directive prévoyant une application à deux niveaux des dispositions de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2002, Felix Swoboda, C‑411/00, Rec. p. I‑10567, point 55).

La Cour a jugé, dans le contexte de la directive 92/50, que, lorsque les marchés portent sur des services relevant de l’annexe I B, les pouvoirs adjudicateurs ne sont tenus qu’aux seules obligations de définir les spécifications techniques par référence à des normes nationales transposant des normes européennes qui doivent figurer dans les documents généraux ou contractuels propres à chaque marché et d’envoyer à l’OPOCE (Office des publications officielles des Communautés européennes) un avis relatant les résultats de la procédure d’attribution de ces marchés (voir arrêt du 13 novembre 2007, Commission/Irlande, C-507/03, Rec. p. I‑9777, point 24).

La Cour a en effet indiqué que

le législateur de l’Union est parti de la présomption selon laquelle les marchés relatifs aux services relevant de l’annexe I B de la directive 92/50 ne présentent pas, a priori, eu égard à leur nature spécifique, un intérêt transfrontalier suffisant susceptible de justifier que leur attribution se fasse au terme d’une procédure d’appel d’offres censée permettre à des entreprises d’autres États membres de prendre connaissance de l’avis de marché et de soumissionner (voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande, précité, point 25). Cependant, la Cour a considéré que même de tels marchés, lorsqu’ils présentent un intérêt transfrontalier certain, sont soumis aux principes généraux de transparence et d’égalité de traitement découlant des articles 49 TFUE et 56 TFUE (voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande, précité, points 26 et 29 à 31)

Conclusion: le système établi par la directive 2004/18 ne crée pas directement, pour les États membres, l’obligation d’appliquer l’article 47, paragraphe 2, de cette directive également aux marchés publics de services relevant de l’annexe II B de cette dernière.

• Quant à l’application des principes de transparence et d’égalité de traitement

La Cour a précisé que

Pour ce qui est, d’une part, du principe de transparence, force est de constater que ce principe n’est pas violé si une obligation telle que celle consacrée par l’article 47, paragraphe 2, de la directive 2004/18 n’est pas imposée au pouvoir adjudicateur concernant un marché ayant pour objet des services relevant de l’annexe II B de cette directive. En effet, l’impossibilité pour un opérateur économique de faire valoir les capacités économiques et financières d’autres entités n’a pas de rapport avec la transparence de la procédure d’attribution d’un marché. Il convient, d’ailleurs, d’observer que l’application des articles 23 et 35, paragraphe 4, de la directive 2004/18 lors des procédures d’attribution des marchés portant sur de tels services, dits «non prioritaires», vise également à assurer le degré de transparence qui correspond à la nature spécifique de ces marchés“.

D’autre part, que le principe d’égalité de traitement ne saurait non plus conduire à l’imposition d’une obligation telle que celle consacrée par l’article 47, paragraphe 2, de la directive 2004/18 également lors de l’attribution de marchés de services figurant à l’annexe II B, nonobstant la distinction opérée par cette directive.

En effet, l’absence d’une telle obligation n’est susceptible d’entraîner aucune discrimination, directe ou indirecte, sur la base de la nationalité ou du lieu d’établissement.

La Cour conclue finalement qu’

Il convient de souligner qu’une approche aussi extensive de l’applicabilité du principe d’égalité de traitement pourrait conduire à l’application, aux marchés des services relevant de l’annexe II B de la directive 2004/18, d’autres dispositions essentielles de cette directive, par exemple, ainsi que le fait observer la juridiction de renvoi, des dispositions qui fixent les critères de sélection qualitative des candidats (articles 45 à 52) ainsi que les critères d’attribution des marchés (articles 53 à 55). Cela comporterait le risque de priver de tout effet utile la distinction entre les services des annexes II A et II B opérée par la directive 2004/18, ainsi que l’application à deux niveaux de celle-ci, selon les termes utilisés par la jurisprudence de la Cour“.

Par conséquent, les principes généraux de transparence et d’égalité de traitement n’imposent pas aux pouvoirs adjudicateurs une obligation telle que celle consacrée par l’article 47, paragraphe 2, de la directive 2004/18 aux marchés relatifs à des services figurant à l’annexe II B de cette dernière.

• Quant à l’applicabilité temporelle de la directive et à son effet direct

La Cour, s’inspirant de sa réponse donnée à la précédente question, précises que

La délimitation du champ d’application de la directive 2004/18 procède, ainsi qu’il ressort du dix-neuvième considérant de cette directive, d’une approche progressive du législateur de l’Union qui, si elle n’oblige pas à appliquer, pendant la période transitoire mentionnée audit considérant, l’article 47, paragraphe 2, de ladite directive à la passation de marchés tels que celui en cause au principal, n’interdit toutefois pas à un État membre et, éventuellement, à un pouvoir adjudicateur de prévoir, respectivement, dans sa législation et dans les documents relatifs au marché, l’application de la disposition susvisée à de tels marchés“.

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